La publicité sur Internet a connu incontestablement une croissance foudroyante, renversant en quelques années des années de domination de la télévision sur les autres médias.
Pour autant, comme nous avons pu l’évoquer récemment (lien vers la tribune sur la pub responsable), l’expérience publicitaire vécue par les internautes n’est guère au niveau des attentes que l’on pouvait avoir à la genèse du digital, alors même que la confidentialité les données personnelles est toute relative.
Google propose de balayer 20 ans de pub digitale avec la disparition programmée des cookies tiers et la création d’une privacy sandbox. Revue de la révolution qui est va bouleverser tout un écosystème.
La publicité digitale va bientôt atteindre les 6 Md€ en France et les 330 Md$ dans le monde. Dans les pays les plus matures, les investissements sur le digital représentent plus de 50% du total. Les budgets médias s’articulent incontestablement maintenant autour du digital.
Pour autant, comme nous avons pu le soulever il y a peu dans notre dernière tribune sur la publicité digitale, celle-ci est loin d’être parfaite pour toutes les parties prenantes (consommateurs ; éditeurs ; intermédiaires ; annonceurs).
Vingt ans après sa création, la publicité digitale n’a pas réussi à créer un équilibre positif.
Le monde de la publicité digitale est coupé en deux au niveau du ciblage. D’une part il existe un ciblage basé sur le contexte (un mot recherché dans un moteur, une catégorie de contenus sur un site média, un produit vu sur un site marchand, etc.) et d’autre part un ciblage basé sur le profil des internautes.
Cette dernière approche est dans la quasi totalité des cas basée sur la création de segments établis et enrichis grâce aux cookies.
On parlera de cookie et data first party lorsqu’un média ou un annonceur va créer ses propres segments en analysant la navigation de son audience sur ses sites, et de cookie tiers lorsqu’il va y avoir un assemblage de différentes audiences, sur différents sites. C’est ce que appelle la third party data.
C’est ce fameux cookie tiers que va faire disparaître Google suite à son annonce il y a quelques semaines.
On ne peut que louer la finalité ultime de cette décision. Si l’utilisation des cookies tiers a permis de proposer des stratégies de ciblages toujours plus évoluée lorsqu’il est exploité judicieusement, il n’en reste pas moins qu’il permet le tracking des internautes de manière généralisée sur tout le web, et peut être source de collecte abusive de données sensibles, ou de profiling généralisé par des société peu scrupuleuses. Le spectre de Cambridge Analytica plane encore sur le web quelques années plus tard.
L’objectif de Google pour son navigateur Chrome est ambitieux : supprimer tout mécanisme qui permettrait d’exporter des données personnelles hors du navigateur. Pour empêcher toute fuites ou vente de données personnelles, autant fermer le robinet à la source.
Avec cette approche nul doute que l’internaute pourra dormir plus tranquillement, sans craindre que ses données personnelles, potentiellement sensibles, passent d’une main à une autre. C’est un changement radical et positif pour les internautes indéniablement.
Si la fin justifie les moyens, si la protection des données personnelles est un argument inattaquable et bien entendu plus que légitime, il est important de comprendre ce par quoi ce cookie tiers, si controversé, sera remplacé.
Google a pour ambition de réinventer le traitement des données comportementales en les stockant dans une sorte de coffre fort intégré directement dans le navigateur de l’internaute : la privacy sandbox.
Le contenu qui y sera historisé (la durée de navigation, tout ou parti des pages vues, les actions faites par un internaute, ses achats, etc.) et les conditions d’accès à ces données par des tiers ne sont pas encore complètement définies par Google et sont encore en discussion avec les acteurs de l’industrie.
Nous connaissons par contre la philosophie de cette privacy sandbox : les tiers pourront avoir accès à une version agrégée et partielle des données comportementales afin de leur permettre de continuer d’innover tout en empêchant toute identification précise d’un internaute. Le fingerprinting sera activement combattu en instaurant une sorte de crédit à chaque tiers (les acteurs de la publicité) leur empêchant d’accéder à des données trop précises sur chaque internaute.
Concernant la possibilité d’analyser les comportements des internautes, Google propose que chaque navigateur soit intégré dans un unique groupe de personnes qui possèdent de fortes similitudes de navigation avec un projet nommé FLOC (Federated Learning of Cohorts).
Il y a beaucoup de questions encore à ce stade sur ces cohortes : sur quelles bases seront rassemblés les individus en groupe ? Comment cette appartenance va t’elle évoluer, sur quelle base temporelle ? Comment assurer que les données sensibles ne seront pas utilisées pour générer ces groupes ? Combien d’internautes constitueront chaque groupe ? Quelle sera leur précision ? Etc.
Dans tous les cas, avec un tel système, la notion de collecte et d’exploitation de données personnelles par un tiers n’existera plus. Les réflexes et pratiques de l’écosystème vont être bouleversés avec une intensité incomparable avec ce qu’il a connu lors de l’arrivée de sa précédente révolution : l’instauration du GDPR.
La publicité digitale bâtie sur le cookie tiers pour la quasi totalité de ses caractéristiques (ciblage, extension, frequency capping, analyse des performances et attribution etc.), c’est une réelle révolution qui va toucher la totalité des acteurs du secteur, de près ou de loin.
Mais à ce stade, on peut s’interroger sur certains dommages collatéraux qui ne vont pas réellement dans le sens d’une publicité plus respectueuse et plus performante :
On peut légitimement craindre que Google ne favorise le modèle d’attribution au last click, dont les limites sont connues et reconnues par la plupart des annonceurs et des acteurs de la publicité digitale, car il favorise les acteurs en bas de tunnel, comme le retargeting ou le search (étonnant !). Google évoque également des reporting agrégés à partir d’un certain volume de données afin d’éviter le tracking individuel. Les fournisseurs de solution d’attribution / contribution vont donc être fortement limités dans leurs analyses et la performance réelle des campagne, avec notamment l’impact haut / bas de tunnel, sera plus complexe à appréhender.
C’est la raison pour laquelle de nombreuses autres pistes sont désormais étudiées par les annonceurs : mesure d’impact sur des zones de chalandise via des AB test, post tests, etc. Des techniques utilisées pour les autres médias. Tout ceci rend beaucoup plus complexe et onéreux le suivi de la performance et l’optimisation des campagnes digitales … Il y a donc fort à parier que les annonceurs perdent en précision et en arrivent à négliger l’impact pourtant réel des autres canaux que le search !
Il reste énormément de questions en suspens et de supputations et concrètement, aucun prototype ne sera proposé avant des mois. En réalité, la privacy sandbox est aujourd’hui purement virtuelle, il suffit de visiter le github sur le sujet pour voir que les lignes du projet sont encore très floues et mêmes les équipes de Google ne tranchent pas fermement ce qui sera réellement réalisable et in fine réalisé…
C’est ce qui rend cette révolution si forte et si anxiogène pour un écosystème pendu aux annonces de Google. Et notamment ceux qui disposent d’une capacité d’innovation limitée et se cantonnent à une approche traditionnelle de la pub digitale (segments, extension d’audience, retargeting, etc.).
Pour ceux qui sont équipés de systèmes plus modernes et intelligents, en revanche, c’est une véritable opportunité d’installer de nouveaux standards ! Nous espérons y contribuer chez AntVoice.
C’est une révolution profonde que le secteur publicitaire va vivre, une rupture dans des pratiques installées depuis plus de 20 ans rendant certaines d’entre elles tout simplement impossibles dans ce nouveau monde. Comme dans toute situation de rupture, certains acteurs sauront comprendre et s’adapter à ces nouvelles contraintes afin de continuer d’innover quand d’autres se replieront sur des approches plus basiques : in fine les cartes vont se redistribuer et les forces en présence vont changer.
Ces positions de repli commencent dors et déjà à se dessiner chez les acteurs traditionnels.
L’annonce du projet REARC de l’IAB mi février est lui un bon exemple de repli, cherchant à pérenniser le ciblage “one to one”. Son objectif est d’introduire une collaboration généralisée des éditeurs avec les plateformes publicitaires afin qu’ils incitent les internautes à se connecter sur leur site et qu’ils fournissent une identité au reste de la chaîne publicitaire (identifiant consistant en une version illisible de l’email de l’internaute).
Cette approche logique, consistant à se placer des oeillères en cherchant à reproduire absolument l’ancien monde, oublie que la fin des cookies et les régulations successives sont là pour durer et se renforcer et que la question de fond à laquelle chaque acteur devrait se consacrer n’est pas comment disposer techniquement d’une identité fiable, mais bien comment exploiter des stratégies publicitaires en préservant l’anonymat de chaque internaute.
Le “one to one” n’étant plus tenable, le risque est donc d’avoir un retour en arrière, vers le “one to many”. Comme dans les médias traditionnels, comme avant. Le renouveau soudain pour le ciblage contextuel, pratique que le marché avait quasiment “oublié”, en est un bon exemple. En tant qu’annonceur, je souhaite toucher des hommes donc je vais annoncer sur l’Équipe ou bien je vais uniquement cibler les articles qui parlent de football ou de voiture. Inutile de préciser que ce type d’approche est d’une médiocrité certaine en terme de qualité de ciblage, tant elle est basique et souvent erroné. Le moindre site féminin possède souvent 30 à 40% de son audience composée d’hommes par exemple.
Ces approches ainsi que celles que nous n’avons pas évoqué ont toutes un point commun : elles sont toutes très limitantes en terme de reach. Si la totalité des investissement se concentre sur les quelques internautes connectés qui divulguent leur identité, ou si les investissement se concentrent sur les 5% à 10% des pages web qui disposent d’un contexte exploitable ou de data first party fournis par les éditeurs, les prix d’achats vont naturellement augmenter sur une toute petite partie des inventaires quand 90% des inventaires, inexploitables seront délaissés. Cette concentration généralisée des achats va drastiquement réduire la rentabilité des investissements déjà affaiblis par l’appauvrissement des approches évoquées.
Le futur de la publicité digitale sera en réalité lié aux innovations qui naîtront autour des possibilités fournies par la privacy sandbox. Par exemple, l’exploitation des FLOC, ces groupes de quelques milliers de personnes très similaires créés par la navigateur, revêt un potentiel important. Il permettait d’inventer un ciblage “one to few” performant et respectueux du désir généralisé des internautes de contrôle de leurs données personnelles.
Bien entendu, leur exploitation sera technologiquement complexe : aucune nomenclature ne sera attachée à ces groupes, il sera impossible de savoir qu’un groupe concerne des fans de jardinages et un autre des personnes intéressées par la finance. Pour pouvoir exploiter ces cohortes, il faudra les analyser et apprendre de leurs réactions afin de pouvoir leur exposer les publicités les plus pertinentes.
Indéniablement, la publicité du futur sera basée sur le machine learning, seule approche permettant de conserver un ciblage précis, favorisant une expérience publicitaire riche, intéressante et respectueuse pour les consommateurs.
Nul doute que l’on entende encore beaucoup parler d’I.A. et de Machine Learning appliquée à la publicité dans les prochaines années …
Rodolphe Mirilovic (CTO, co-fondateur) et Alban Peltier (CEO, co-fondateur)
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